Collection Ethnocritiques Anthropologie de la littérature et des arts Presses universitaires de Nancy, 2011, 354 p., 20 euros
Si l’ethnologie et l’anthropologie, avant de se constituer en savoirs spécialisés, ont une longue préhistoire, leur émergence véritable est justement située dans les parages de la philosophie des Lumières. Pourtant nous ressentons une affinité entre la curiosité ethnologique et un romantisme qui exalte les différences, exotiques et populaires, qui reconnaît la force poétique des langues et des traditions orales, qui fonde la modernité des nations sur des héritages de longue durée. Entre 1800 et 1850, l’expression de ces valeurs trouve chez les écrivains et les artistes, dont beaucoup sont encore des polygraphes heureux, des formes d’expression qui utilisent et parfois mêlent tous les genres: du traité de science morale au roman en passant parle récit de voyage et la recréation littéraire des poèmes et des récits de la tradition.
Cet ouvrage revisite ces rencontres entre un savoir qui s’affirme et un champ littéraire et esthétique qui se réoriente et se diversifie. Mais son horizon est plus vaste. Le romantisme ne se contente pas d’accueillir les aspects pittoresques de l’altérité, il situe ces curiosités intenses sur l’horizon d’une critique morale et politique de la modernité qui tiendra une place décisive dans la naissance de l’ethnologie au sens présent du terme. Le progrès, cette idée d’une perfectibilité continue de l’homme, cette croyance en une positivité nécessaire de l’évolution a un revers préoccupant: l’inéluctable disparition des vaincus, victimes de la marche vers le futur. Alors que toutes les sciences de la société naissent du souci de gérer et d’améliorer les sociétés proches, l’ethnologie prend en charge les condamnés et les oubliés, qu’ils soient d’ailleurs ou d’ici, elle leur reconnaît une égale dignité comme expression de la situation humaine. Tel est l’apport profond et mal compris du romantisme auquel l’ethnologie doit non seulement ses choix d’objet, ses méthodes et son éthique mais sa proximité foncière avec la littérature qui, pour une part, veille aussi sur ces ruptures du temps et fait sortir du silence ces apocalypses culturelles.
Premier volume d’une série vouée à la compréhension des relations entre la discipline ethnologique et les champs (littéraire, artistique, scientifique et politique) dans lesquels elle s’est inscrite, cet ouvrage conduit par Daniel Fabre et Jean-Marie Privat, rassemble les contributions de Noël Barbe, Jean-François Courouau, Daniel Fabre, Philippe Gardy, Philippe Martel, Jean-Marie Privat, Fañch Postic, Xavier Ravier, Claude Reichler et Claudie Voisenat.
Daniel Fabre est Directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales à Paris et enseigne à l’Université de Rome-Tor Vergata. Il a co-fondé le Centre d’anthropologie à Toulouse puis le Lahic (Laboratoire d’anthropologie et d’histoire de l’institution de la culture) à Paris. Ses travaux portent sur l’ethnologie des sociétés européennes, la question de « l’autre de l’art » et des transferts de sacralité entre religion, politique et culture, les usages contemporains du passé et enfin l’histoire sociale et épistémologique des savoirs anthropologiques.
Jean-Marie Privat, spécialiste d’ethnocritique de la littérature et d’anthropologie de la culture, est professeur de littérature française à l’Université Paul Verlaine – Metz. II est membre associé du LAHIC (Cnrs, Paris) et co-directeur du CELTED (Centre d’études linguistiques des textes et des discours, Metz). J.-M. Privat est aussi membre du comité de rédaction de la revue Ethnologie française (PUF, Paris) et des Cahiers de Littérature orale (Inalco, Paris).
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